Édito – avril 2018 « Y a des allumettes au fond de tes yeux… »

Illustration actualité

Aï !

C’est l’histoire d’un jeune gars de 17 ans qui avait plein de chansons dans la tête.

Cela fait déjà quelques années qu’il ne manque sous aucun prétexte, chaque vendredi, l’émission de Foulquier « Y a d’la chanson dans l’air », puis « Pollen ». C’est le début des années 80, mais il a déjà inventé le podcast puisque, parfois, lorsqu’il n’est pas dispo pour écouter l’émission en direct, il l’écoute un peu plus tard, sur son magnéto-radio-cassette programmable. Il est tellement gaga de cette émission, qu’avec quelques copains, il la fait venir dans son lycée. Mais entretemps, il se fait virer, alors le jour de l’émission live, dans la halle des sports du lycée, il vient en catimini, sans trop se faire remarquer des enseignants ou du proviseur et savoure le concert de Pascal Auberson et Rachid Bahri.

Nous sommes en 1985, dans la banlieue sud de Paris. Les chansons qui trottent dans la tête et tournent incessamment sur la platine ou dans le walk-man de cet ado, sont celles de Thiéfaine, Béranger, Lavilliers, Couture, Beau dommage, Verdier, Jonasz et bien d’autres (il y a peu de chanteuses dans cette tête-là à cette époque…).

Il y a aussi entre les 2 oreilles de ce gamin, les chansons d’un grand type extraordinaire, qui explore plein de styles musicaux, loin des grands médias, qui virevolte de son piano à son accordéon ou sa guitare et qui te transporte sur scène comme personne. Or ce grand Monsieur, Jacques Higelin, sort bientôt son prochain album, Aï !

Mais comment faire ? Impossible d’attendre la sortie officielle ! Notre jeune gars de 17 ans est bien trop impatient ! Alors, voilà :

« Allo, bonjour (VOIX GRAVE…), c’est bien EMI, Pathé Marconi ?
– Oui Monsieur,
– Heu… J’anime une émission sur Radio Soleil (depuis plusieurs années, il avait animé bénévolement plusieurs émissions sur différentes radios fraichement libérées), j’aimerais faire une spéciale Higelin à l’occasion de la sortie de son nouvel album… Pouvez-vous m’en procurer un exemplaire ?
– Bien sûr cher Monsieur,
– Très bien, je vous envoie un coursier… »

Et le voilà qui part de sa banlieue sud, en mobylette, jusqu’à Boulogne, au siège de Pathé Marconi. Une fois sur place, il garde son casque pour bien faire coursier :

« Bonjour (TOUJOURS VOIX GRAVE…), je suis le coursier de radio soleil, je viens chercher un pli
– Bien sûr cher Monsieur, le voici »

Aaaargh ! Ça marche ! Il a entre ses mains, ce nouvel album avant tout le monde ! Il y a même un tampon en haut à droite de la pochette avec la mention « DISQUE GRATUIT INTERDIT A LA VENTE ». Il marche à reculons pour sortir. Il se dit qu’il ne faut pas courir pour ne pas attirer l’attention du type de la sécu. Une fois dehors, tremblant, les guibolles telles des guimauves, Il range le précieux objet dans son vieux sac US à moitié effiloché, il réenfourche son deux-roues et le voilà reparti vers sa banlieue, tout chantant ou fou chantant, alors qu’un déluge de pluie se met à tomber…

Tout le monde a bien compris que ce jeune gars avec toutes ces chansons dans la tête a aujourd’hui, des cheveux gris, fait 100 kilos et a les yeux qui brillent en écrivant ces quelques lignes. Les yeux qui brillent comme au 1er rang du Casino de Paris, au cirque d’hiver ou ailleurs, mais cette fois pas d’émerveillement, juste de tristesse. Salut Crabouif, salut Monsieur Higelin, merci pour toutes ces émotions.

Prochaine newsletter, courant mai.

Stéphane Riva

L’image du mois : Visuel de l’Album « Aï » de Jacques Higelin

Catégorie : Humeurs
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