Pourquoi aimons-nous chanter ? Article France Musique

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Suzana Kubik a publié un article très INTÉRESSANT sur France Musique, on aime, alors on partage !

Pourquoi aimons-nous chanter ?

Publié le lundi 25 mars 2019 à 16h39 sur francemusique.com

« J’ai un sentiment de liberté quand je chante », « c’est un besoin vital », « chanter, c’est communier… » .Vous aimez chanter et vous y puisez un sentiment de bien-être incomparable. Mais d’où vient-il ? Du cerveau, bien sûr ! Tentons de décrypter ses mécanismes, neurosciences à l’appui.

Pourquoi aime-t-on tant chanter ? Qu’est-ce qui nous pousse à rejoindre la chorale du mercredi soir même après une longue journée de travail, ou à surmonter notre timidité naturelle et s’époumoner à gorge déployée devant de parfaits inconnus dans des soirées karaoké ? Nous vous avons posé cette question sur les réseaux sociaux, et si les réponses sont nuancées, elles traduisent toutes la même sensation du plaisir quasiment physique que le chant procure, sensation à la fois apaisante et euphorisante, comme après une bonne séance de sport.

« J’ai un sentiment de liberté quand je chante, je le vis souvent comme une catharsis, confie ainsi Pélerine. Je chante un peu bêtement toute la journée parce que c’est plus facile que de parler et ça m’aide à gérer mon stress. » Pour Coline, la musique est un besoin vital «  surtout partagée, avec des amis, c’est un vrai bonheur, une jubilation extraordinaire! » Théophile aime chanter « dans les stades de foot » et pour Caban, c’est un lien social fort parce qu’il y retrouve «  la même sensation que celle de partager la même référence ou le même humour. »

Une façon de vous détendre, de retrouver la pêche, de vous sentir en harmonie avec les autres, qu’il soit pratiqué dans l’intimité ou sous les feux de la rampe, le chant vous fait du bien. Et c’est pareil pour les chanteurs professionnels : « Lorsque je chante les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss, que j’ai chanté plus souvent que n’importe quelle oeuvre de mon répertoire, dans la dernière mélodie j’atteins l’état méditatif, confie la soprano américaine Renée Fleming dans la revue Stanford Medicine, de l’université américaine du même nom. Ma respiration ralentit. Je peux me détacher complètement de ma vie de tous les jours, et cela m’arrive à chaque fois. » 

Mais d’où nous vient-elle, cette sensation de bien-être ? Le chant met en action un réseau complexe de circuits dans notre cerveau :

« Le chant est une forme de thérapie naturelleexplique Sarah Wilson de l’Ecole des sciences psychologiques de l’Université de Melbourne. Lorsque l’on observe les IRM des personnes en train de chanter, on voit les régions très étendues s’activer dans le cerveau, et cela est le cas à la fois si la personne chante et si elle ne fait que de s’imaginer chanter. Les régions concernées sont les régions motrices, celles responsables de l’audition ou de l’écoute, les régions en charge de la planification et de l’organisation, ainsi que celles qui supervisent la mémoire. Si l’on chante une chanson à texte, le traitement du langage est aussi impliqué, le tout en lien avec les émotions qui renforcent le lien social et l’empathie. La complexité du chant est un vrai défi pour le cerveau, même si nous avons l’impression que c’est un processus très simple, » conclut la chercheuse. Chanter, cela nous paraît simple, en tout cas, le chant est accessible à tout le monde et partout. Mais pourquoi donc aimons-nous chanter ?

Chanter vous fait grimper au rideau

Une addiction, c’est exactement de cela dont il s’agit. Vous êtes sous l’emprise de la dopamine, ce neurotransmetteur qu’on appelle aussi la molécule du bonheur, et dont la sécrétion s’apparente à celle provoquée par l’activité sexuelle ou la prise de drogue. Dans une étude datant de 2013, des chercheurs canadiens ont démontré que le circuit de récompense est activé par anticipation, ce qui vous pousse à renouveler  l’expérience encore et encore. Pour certaines personnes, l’émotion ressentie pouvant être si fortes qu’elle ressemble à un orgasme, un état que les chercheurs appellent « le frisson musical ».

Chanter « muscle » votre cerveau

« Pour nous, les chanteurs, notre instrument est à l’intérieur de notre corps et très complexe à contrôler, analyse Renée Fleming. C’est dû au fait qu’il est contrôlé majoritairement par les muscles involontaires. Vous seriez étonné d’apprendre tout ce que nous devons accomplir avec notre voix (sans l’aide d’un micro) dans un espace aussi vaste qu’une salle d’opéra ». Contrôler sa voix, que vous soyez Renée Fleming ou choriste du dimanche, implique des processus très complexes dans notre cerveau.

A l’instar des instrumentistes, les chanteurs, à force de chanter régulièrement, développent des circuits spécifiques nécessaires pour la production du son, et notamment ceux liés aux micro-mouvements qui leur permettent de mieux contrôler leur système vocal, selon une étude parue en 2009. Un entraînement qui, selon les chercheurs, préparerait les chanteurs à une meilleure concentration sur scène que leurs collègues instrumentistes.

Mais ce n’est pas tout : le fait d’associer les paroles à la musique, parfois dans une langue étrangère et souvent non-parlée par le chanteur, impose une gymnastique supplémentaire aux circuits neuronaux. Et plus les défis sont importants, plus notre cerveau est content. Une autre étude parue elle aussi en 2009, a ainsi démontré que les compétences linguistiques sont plus prononcées chez les chanteurs : les garçons qui chantent régulièrement possèdent un avantage, dans leurs compétences linguistiques qui touchent à la grammaire et à la compréhension, sur leurs camarades lambda ( les filles ont d’emblée quelques prédispositions en la matière, nous disent les scientifiques).

Chanter, c’est se faire un bain de jouvence

Le chant est accessible à tous, nous l’avons déjà constaté. Mais ce qui est encore plus important : il vous fait du bien quel que soit votre âge. Il agirait même comme une crème anti-rides sur vos neurones, en les préservant plus longtemps des effets du vieillissement. Et cela est valable que vous ayez eu une carrière professionnelle dans la musique toute votre vie durant ou une pratique de la musique limitée dans le temps.

« Le musicien est aussi affecté par la perte auditive que le non-musicien, écrit la psychologue Isabelle Peretz dans son ouvrage Apprendre la musiqueMais en vieillissant, le musicien conserve un cerveau plus apte à discerner les sons qui lui parviennent ». Et constitue aussi, selon la chercheuse, une réserve cognitive qui lui permet de retarder le déclin, de favoriser les capacités psychomotrices, de conserver une bonne mémoire verbale et une aptitude au raisonnement :  « il est bien connu que l’activité intellectuelle, souvent associée à un niveau élevé de l’éducation, atténue les effets négatifs du vieillissement. Le cerveau « plus entraîné » aurait la capacité d’optimiser l’intellect malgré les signes de dégénérescence,» explique Isabelle Peretz.

Chanter éveille l’altruiste en vous

Dans les stades ou au sein d’une chorale, vous avez tous connu ce moment d’élévation collective qui se répand comme une vague et vous pousse à enlacer votre voisin. « On est porté par une énergie commune qui donne des ailes (et de la voix), témoigne Ariane sur Twitter. De nombreuses études démontrent que toutes les vertus du chant se trouvent démultipliées lorsqu’on chante en groupe.

« Le chant est une activité qui procure un immense plaisir, écrit Isabelle Peretz . Certains pensent même que le chant choral est une grande caresse (grooming) collective qui libère des endorphines dans le cerveau et diminue les hormones de stress. Plus la chorale est grande, plus le plaisir est grand et le sentiment d’appartenance renforcé ».

Une caresse collective, un sentiment d’appartenance comme celui entre la mère et son nouveau-né, ou entre les amants après l’amour, grâce à l’ocytocine, hormone de l’attachement : « se sentir en phase avec l’autre au rythme de la musique conduit au sentiment altruiste, explique Isabelle Peretz. Chanter en chœur augmente la confiance en l’autre et favorise la coopération plutôt que la compétition ». Et active le circuit de la récompense, donc le sentiment de bien-être, qui ne se limite pas aux personnes qui chantent, mais implique aussi celles qui écoutent :

« les œuvres musicales ont une structure expressive suffisamment puissante pour imposer des états émotionnels communs à un grand nombre d’auditeurs. La musique peut mettre à l’unisson une foule entière, » s’enthousiasme la chercheuse.

Chanter fait passer le blues

Dépression, solitude, anxiété, etc. pour les neuroscientifiques, le chant peut aider à passer le cap. Outre le feu d’artifice biochimique qui ne peut que vous aider à remonter la pente, au moins l’espace d’un instant, le chant est indissociable de la respiration. Les yogis vous le confirmeront : une respiration contrôlée mettra de l’ordre dans vos émotions.

« Le chant est évidemment une activité où l’on mobilise de façon consciente nos poumons, nous renseigne une étude de 2010. La respiration est en interaction avec nos états émotionnels, et l’anxiété et le stress induisent une respiration rapide et superficielle. En faisant un effort de respirer plus profondément et plus lentement, on arrive à la relaxation. » 

Et l’effet de groupe est ici primordial : « Chanter dans une chorale procure un sentiment de soutien social et de l’amitié, qui diminue la sensation d’isolement et de solitude, nous renseigne la même étude. Comme le chant est intrinsèquement lié à la respiration, le sentiment d’appartenance au groupe est indissociable de la pratique chorale, ce qui aide à retrouver la sérénité. » En effet, sur quelques 600 choristes qui ont participé à cette étude réalisée en Angleterre, une large majorité a déclaré que cette activité les aide à être plus heureux, leur donne une attitude positive envers la vie et contribue à leur bien-être.

Chanter fait oublier les bobos

Retour à la case du départ avec un dernier hommage à votre cerveau du plaisir. Saviez-vous qu’au delà des montagnes russes qu’il peut nous faire traverser, il a la capacité de nous aider à surmonter la douleur ? Le simple fait de pousser la chansonnette permet d’en sentir les bénéfices. Dans une étude de 2004, les chercheurs américains ont observé une meilleure résistance à la douleur chez les patients souffrant des douleurs chroniques, juste après une séance de chant.

Comme l’explique le neurologue Pierre Lemarquis :  « le cerveau du plaisir et de la récompense secrète de la morphine endogène. Quand vous entendez une musique qui vous plait, vous avez moins mal ». Une donnée scientifique largement utilisée dans la préparation à l’accouchement, comme l’explique Judith Bloch-Christophe, qui encadre des ateliers du chant prénatal pour les femmes enceintes :

« Le chant prénatal agit sur la respiration, et par conséquent sur la relaxation et libère les émotions. Au moment de l’accouchement, toute la préparation prend son sens : la femme a une boîte à outils pour ne pas subir le travail, mais en être actrice. Les vibrations sonores aident à soulager la douleur et participent à rythmer les contractions, et grâce au chant, elle peut retrouver son souffle lors des contractions. Le chant prénatal permet ainsi à la femme de voir son seuil de tolérance à la douleur s’élever, tout en restant pleinement là pendant l’accouchement » explique la praticienne.

Et si tous ces arguments ne vous suffisent pas, sachez que, grâce au chant, pas moins de 15 millions de Français ont une chance de sauver leur couple. C’est ce qu’affirme Le Figaro en citant la toute nouvelle étudeanglaise parue dans le British Medical Journal, selon laquelle une session de vingt minutes de vocalises par jour diminuerait considérablement le ronflement et l’apnée du sommeil. Alors, au nom de votre cerveau ou de vos nuits calmes, c’est à vous de chanter !

Photo : Liza Minnelli, © Getty / Manuel Litran

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